Fabriquer des aliments à faibles émissions de carbone : une mission pour toute la chaîne de valeur
Pour réduire l’empreinte carbone de leurs produits, les transformateurs alimentaires doivent se pencher sur leur plus grande source d’émissions de gaz à effet de serre : les matières premières qui proviennent des fermes.
La fabrication d’un aliment passe par bien des étapes. Par exemple, le cheddar commence avec la naissance d’un veau et la culture du fourrage pour le nourrir, puis le soin et la traite des vaches, le caillage du lait puis le moulage, le salage, l’affinage et l’emballage du fromage. Entre autres! Pour réduire l’empreinte carbone de ce produit, un fromager peut donc intervenir sur chacune de ces étapes.
Toutefois, la plus grande source de ses gaz à effet de serre (GES) n’est pas l’usine ou les camions de transport, mais… la ferme! Qu’importe l’aliment, en fait, la plus grosse part des GES émis par un transformateur agroalimentaire ne provient pas de ses procédés industriels, mais de la gestion du fumier à la ferme, de l’épandage des engrais azotés dans les champs et de la digestion des animaux à l’étable.
Pour produire des aliments avec une empreinte carbone plus petite, les transformateurs n’ont donc pas le choix : ils doivent travailler avec les fermes d’où provient leur lait, leurs céréales ou leur viande, et les aider à réduire leurs GES. Heureusement, leurs efforts s’appuient sur un réseau grandissant d’organismes qui travaillent avec les fermes pour faciliter leur transition vers une nouvelle agriculture qui tient compte des changements climatiques.
Les engagements des transformateurs
Ces dernières années, Agropur, Nestlé, McCain, Danone et General Mills – pour ne nommer qu’elles – se sont toutes engagées à réduire leurs émissions de GES. Leurs objectifs sont généralement de réduire leurs GES de 30 % d’ici 2030 et de 100 % d’ici 2050. Ce sont des engagements publics qui respectent les règles d’organismes reconnus, comme SBTi.
Agropur, Nestlé ou Danone sont mues par diverses motivations : s’assurer de la solidité de leurs fournisseurs dans le contexte du réchauffement climatique, augmenter leur efficacité et leur rentabilité, vendre des produits à faibles émissions de carbone, etc. Par contre, elles partagent un point en commun : pour réduire leurs GES, elles ont besoin de la collaboration des fermes.
Une opportunité pour les fermes
On le sait, les producteurs et les productrices composent déjà avec de nombreux défis. Or, les objectifs de réduction de GES des transformateurs risquent fort de leur demander des efforts de plus. Mais ces efforts ouvrent aussi la voie à une opportunité d’affaires puisque les fermes qui réduisent leurs propres GES génèrent un nouvel actif : un atout carbone. Ce carbone pourra par la suite être valorisé dans la chaîne de valeur agroalimentaire, ou sur les marchés.
En somme, les objectifs de réduction de GES de General Mills ou de Nestlé correspondent à une nouvelle vision de l’agriculture, qui se préoccupe davantage des changements climatiques et cherche les meilleurs moyens de s’y adapter. Cela requiert notamment d’augmenter la matière organique dans le sol et de porter une attention accrue à la santé des animaux et à celle des sols.
Vers un aliment à faibles émissions
Pour réduire ses GES, une entreprise de transformation alimentaire passe généralement par cinq grandes étapes.
La première consiste tout simplement à déterminer son année de référence, c’est-à-dire « l’année zéro » à partir de laquelle elle mesurera ses réductions. La deuxième est se fixer un objectif : la quantité de GES qu’elle veut éliminer et sur quelle période. La troisième étape consiste à réaliser un inventaire de ses GES, c’est-à-dire brosser le portrait le plus précis possible de la quantité de ses émissions et de leurs sources.
L’étape de l’inventaire est la plus complexe, car l’entreprise doit décider quelles activités elle prendra en compte. En d’autres mots, elle doit déterminer le périmètre de son inventaire.
C’est complexe car il n’existe pas de réponse unique. Par exemple, une usine qui fabrique des cartons d’emballage émet une certaine quantité de GES. À qui faut-il les imputer : à l’usine, ou aux gens qui achètent ses cartons? Et si l’usine et sa clientèle se partagent les émissions, quelle part faut-il imputer à l’une et à l’autre?
Les entreprises qui réalisent leur inventaire se posent ces questions au sujet de toutes leurs activités : l’origine et la fabrication de leurs intrants, leurs procédés industriels, leurs livraisons, etc.
Trois grandes catégories d’émissions
Pour faciliter leurs analyses et déterminer leur périmètre d’émissions, la plupart des entreprises suivent les recommandations du Greenhouse Gas Protocol, LA référence dans la réalisation d’un inventaire de GES.
Cet organisme suggère de diviser les émissions en trois catégories, ou « portées » :
- Les émissions de portée 1 proviennent directement de l’entreprise elle-même, par exemple, de ses usines ou de ses bureaux.
- Les émissions de portée 2 incluent les GES émis par la production de l’électricité utilisée par l’entreprise. Au Québec, ces émissions sont généralement négligeables puisque l’électricité provient quasi exclusivement de l’hydroélectricité, qui est très peu polluante.
- Les émissions de portée 3 surviennent avant ou après les activités menées par l’entreprise, c’est-à-dire celles qui proviennent de ses fournisseurs ou de sa clientèle. On peut penser aux GES liés à la production du lait qu’achète un fromager, par exemple, ou à l’utilisation d’une voiture après sa sortie de l’usine.
Les trois types d’émissions peuvent être associées à un produit donné, mais l’inventaire des émissions d’une province ou d’un pays comptabilise seulement celles de portée 1. Cela évite de compter les GES deux fois, c’est-à-dire lors de la fabrication d’un produit et lors de son utilisation.
Passer à l’action en soutenant les fermes
Une fois son inventaire complété, l’entreprise passe à l’avant-dernière étape : décider quelles mesures elle mettra en place pour réduire ses émissions.
Dans l’agroalimentaire, une grosse part des GES provient des fermes. C’est pourquoi les transformateurs doivent collaborer avec les producteurs et les productrices agricoles. À l’heure actuelle, cela signifie que les transformateurs leur fournissent des fonds ou de l’expertise pour les aider à adopter des pratiques agroenvironnementales qui contribuent à la réduction des GES ou à la séquestration de carbone.
Bien que ces pratiques soient rentables à long terme, les mettre en place demande certains efforts. Après tout, installer un séparateur de lisier, augmenter la longévité d’une vache laitière ou réduire les épandages de fertilisants minéraux azotés ne se fait pas tout seul. Heureusement, l’implantation de ces nouvelles pratiques ne repose pas uniquement sur le dos des fermes. De plus en plus d’organismes se soucient des effets du réchauffement climatique sur la production agricole, et veulent aider les producteurs et les productrices à s’y adapter, comme l’Union des producteurs agricoles ou les Producteurs de lait du Québec.
Une fois la ou les nouvelles pratiques mises en place, il faut compter au moins trois ou quatre ans pour en voir les effets. Le temps à la ferme est un peu différent de celui des autres industries, puisqu’on y travaille au rythme des saisons…
Enfin, la cinquième et dernière étape vers un aliment à faibles émissions est d’assurer un suivi. En gros, les entreprises doivent refaire un inventaire de GES chaque année, en utilisant toujours la même méthodologie, afin de s’assurer que les mesures mises en place engendrent réellement les effets attendus.
Le temps d’agir
De plus en plus de transformateurs agroalimentaires s’engagent à agir contre les changements climatiques, aux côtés des fermes, d’associations agricoles ou des gouvernements. Leur objectif est de créer une nouvelle agriculture, qui tient compte des bouleversements climatiques et qui se soucie davantage de matière organique, de la santé animale et de la santé des sols.
Les producteurs et les productrices doivent évidemment faire preuve de prudence avant de s’engager dans ces projets, et poser toutes les questions pertinentes avant de signer quoi que ce soit.
Mais ils et elles doivent aussi s’y intéresser de près. Les changements climatiques sont là pour rester. Les questions de carbone et de réduction des GES risquent de prendre de plus en plus de place dans le monde agricole. C’est une information à garder en tête lorsque vient le temps de prévoir les prochains investissements à la ferme tout en réfléchissant aux acheteurs, à la santé des animaux, du sol… et du climat.