Carbone organique du sol : les défis de la mesure et de la permanence

De plus en plus de producteurs(-trices) savent que le carbone organique du sol (COS) représente une composante essentielle de leurs champs et une part importante des solutions aux changements climatiques. Peu à peu, ils et elles utilisent donc davantage de pratiques agricoles qui favorisent la présence du carbone dans leurs sols.

Pour s’assurer que ces efforts sont valorisés à leur juste prix, des spécialistes cherchent comment 1) mieux mesurer le carbone que les producteurs et les productrices renvoient dans le sol et, 2) s’assurer qu’il y reste!

Un article de notre blogue explique bien la nature du COS ainsi que ses effets sur les changements climatiques et sur la santé des sols. Le problème est que cette matière précieuse s’échappe à grande vitesse des champs à cause des sols laissés à nu ou labourés trop intensivement.

Ces deux pratiques sont répandues mais elles présentent deux grands défauts : elles favorisent l’érosion, ce qui réduit la matière organique disponible dans les champs, et elles amènent beaucoup d’oxygène dans le sol. Cet oxygène en trop se lie au carbone, ce qui crée du dioxyde de carbone (CO2) qui est libéré dans l’atmosphère. Le CO2 est le gaz à effet de serre le plus répandu.

Le COS, une matière précieuse à récupérer

Selon les meilleures estimations, les champs du Québec contiennent entre 50 et 150 tonnes de carbone par hectare et qu’ils en perdent chaque année entre 0,2 % et 1 %.

Une perte de 0,2 % de carbone peut paraître négligeable mais, étant donné les volumes présents dans le sol, cela totalise environ 14 500 tonnes de CO2 équivalent pour une ferme moyenne de 250 hectares. C’est considérable!

Bref, il faut donc tout faire ce qui est possible pour récupérer ce carbone et le renvoyer dans le sol, tout en continuant à réduire les émissions de GES. Pourquoi? Parce que le COS constitue un outil très puissant dont on ne peut absolument pas se passer pour combattre les changements climatiques.

Renvoyer le carbone d’où il vient : dans le sol!

Il existe deux grandes méthodes pour restituer le carbone au sol : les solutions industrielles et celles basées sur la nature.

Les procédés industriels utilisent différentes méthodes (souvent chimiques) pour aspirer le carbone de l’air ou le capter à la sortie des usines. Ce carbone est ensuite enfoui dans des espaces sous-terrestres désaffectés, comme d’anciennes mines ou d’anciens gisements pétroliers. Même si plusieurs placent leurs espoirs dans ces procédés, ceux-ci sont loin (très, très loin!) d’être au point tandis qu’ils coûteront certainement cher.

Les solutions basées sur la nature renvoient le carbone au sol de manière plus naturelle, grâce à des pratiques régénératrices, à la restauration des tourbières ou à la plantation d’arbres.

Ces solutions naturelles sont moins spectaculaires qu’un procédé de haute technologie, mais… elles ont fait leurs preuves et peuvent être mises en œuvre dès aujourd’hui. Non seulement elles fonctionnent, mais elles sont durables et demeurent une solution à moindre coût. Sans oublier que, contrairement au carbone stocké dans une ancienne mine, elles améliorent aussi la santé des sols, ce qui favorise l’autonomie alimentaire.

L’ABC de la séquestration de carbone

Augmenter le carbone dans le sol de manière naturelle comporte aussi des défis.

Le premier est d’abandonner peu à peu les pratiques agricoles qui laissent les champs à nu et qui travaillent excessivement les sols. Concrètement, cela signifie planter plus de végétaux pendant de plus longues périodes, tout en travaillant moins le sol. C’est tout un changement!

Au champ, cela peut vouloir dire implanter une prairie pérenne. Une fois la prairie implantée, les producteurs et les productrices n’en fauchent que la partie aérienne, ou laissent leurs animaux y pâturer. Ils et elles ne touchent jamais aux racines de la prairie. Ces racines continuent donc à croître, année après année, sans perdre une once de leur carbone. Ce faisant, elles favorisent la vie microbienne du sol, le nourrissent et y facilitent le passage de l’eau.

D’autres techniques augmentent aussi le COS dans un champ, par exemple :

  • Des sols couverts entre les récoltes, avec des cultures de couverture, des cultures hivernales, etc.;
  • Des végétaux sur le pourtour des parcelles (haies brise-vent, bandes riveraines élargies, etc.);
  • Des fertilisants organiques, qui retournent au champ le carbone des plantes digéré par le bétail;
  • Un travail du sol réduit.

Les demandes des organismes de certification

Une fois ces nouvelles pratiques implantées, il faut relever deux autres défis.

Le premier est celui de l’additionnalité, c’est-à-dire mesurer exactement les quantités de carbone que les pratiques régénératrices ont ajouté au sol ou qu’elles ont… laissé dans le sol! Le deuxième défi est celui de la permanence, c’est-à-dire s’assurer que ce carbone additionnel reste dans le sol.

Ce sont les organismes de certification qui veulent des preuves d’un COS additionnel et permanent. Cela leur permet de garantir que les entreprises qui achètent ces séquestrations pour se dire carboneutres ou pour vendre des produits à faibles émissions de carbone ne se rendent pas coupables d’écoblanchiment (greenwashing).

Le défi de l’additionnalité

Le défi de l’additionnalité tient à plusieurs facteurs. D’abord, la concentration de carbone dans les parcelles bouge avant même qu’on pose le moindre geste, selon le type de sol, la topographie et la météo, entre autres. Avant d’en remettre, on ignore souvent combien il y en a!

De plus, même si le carbone s’échappe à grande vitesse du sol, il en reste encore d’immenses quantités sous nos pieds. Il est donc quasi impossible de détecter celui qu’on y a ajouté en douze mois grâce à une nouvelle pratique régénératrice. Avant de voir la moindre différence, il faut maintenir ces pratiques pendant au moins quelques années.

Enfin, accumuler du COS prend du temps. Pour récupérer tout ce qui a été perdu, il faut maintenir les nouvelles pratiques de manière permanente.

Le défi de la permanence

Le défi de la permanence est simple : pour garantir qu’un produit est réellement à faibles émissions de carbone, le COS renvoyé dans le sol doit y rester de manière permanente, c’est-à-dire pour au moins quelques générations.

Imaginez, au contraire, une haie brise-vent plantée pour séquestrer du carbone puis rasée 10 ans plus tard pour faire du bois de chauffage. Le carbone qui avait été séquestré est alors renvoyé dans l’atmosphère, ce qui entraîne un effet nul sur le climat.

Des défis stimulants

Loin de nous arrêter, les défi des pratiques agricoles régénératrices, de l’additionnalité et de la permanence nous poussent à concevoir des outils et des méthodes pour que les séquestrations de carbone des fermes soient reconnues à leur pleine valeur. Le monde agricole et la société en général y ont tout à gagner : de meilleurs sols, une agriculture plus résiliente et une plus grande autonomie alimentaire.

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