Registres de GES : l’ultime étape vers des réductions reconnues
Les entreprises qui luttent contre les changements climatiques gagnent à inscrire les tonnes de gaz à effet de serre (GES) qu’elles ont éliminées dans un registre. Cela apporte notamment à leurs efforts en faveur de l’environnement une reconnaissance publique.
Pour lutter contre les changements climatiques, plusieurs organisations et entreprises s’engagent à diminuer leurs GES ou à séquestrer davantage de carbone. Toutefois, seules les plus sérieuses s’appuient sur les meilleures pratiques et des standards reconnus. Par exemple, elles se fixent des objectifs de réduction selon les normes de SBTi et élaborent des plans d’action conformément aux protocoles approuvés par un organisme de validation et de vérification. Une fois leurs réductions en main, les entreprises doivent toutefois les inscrire dans un registre public pour que leurs efforts soient reconnus à leur juste valeur.
Garder une trace
En quelques mots, un registre est un livre dans lequel on inscrit les actes ou les faits dont on veut garder la trace. Il en existe plusieurs types : pour les mariages, les transactions bancaires ou, depuis environ 30 ans, les réductions de GES et de séquestrations de carbone.
Qu’importe le type de registre, l’objectif est toujours de garantir la crédibilité et la traçabilité d’un fait ou d’un acte. Par exemple, c’est grâce à leurs registres partagés que les institutions financières peuvent notamment s’assurer qu’un même chèque n’est pas encaissé deux fois. Les registres de réductions de GES et de séquestration de carbone, eux, attestent que ces réductions et séquestrations sont de bonne qualité, tout en gardant une trace de qui l’a produite et de qui l’a achetée.
Les protocoles : une assurance de qualité
Pour effectuer leurs vérifications, les registres de réductions de GES s’appuient sur des protocoles précis. Concrètement, ce sont des ensembles complets et rigoureux de règles qui se conforment à des normes internationales reconnues, comme ISO 14064-2:2019. Ces processus s’apparentent à ceux d’une banque qui s’assure qu’un billet n’est pas contrefait avant de l’accepter, par exemple.
Dans le monde des réductions de GES, plusieurs protocoles coexistent et chacun valide seulement certains types de réduction ou de séquestration. Par exemple, le protocole des Fermes laitières engagées de Logiag valide uniquement les réductions réalisées sur les fermes laitières de l’est du Canada. D’autres protocoles concernent exclusivement l’industrie minière, les projets énergétiques, les grandes cultures, etc.
Bien qu’ils soient nombreux, ces protocoles poursuivent tous le même objectif : s’assurer qu’une baisse de GES ou une séquestration de carbone ne résulte pas du hasard, mais bien de mesures identifiables, mises en place volontairement. Seul ce type de réduction ou de séquestration est considéré comme valide. Cela inclut une ferme laitière qui décide de réduire stratégiquement ses sujets de remplacement, mais pas une autre dont les émissions chutent à cause d’une baisse de production.
Une description précise des réductions de GES
Une fois qu’un registre a vérifié la qualité et la validité d’une réduction ou d’une séquestration, il la consigne en notant au moins trois de ses caractéristiques :
- Les mesures qui l’ont créée : les actions entreprises, à quelle période, par qui, à quel endroit, etc.;
- Le nombre de tonnes d’équivalent CO2 qu’elle a évitées ou séquestrées;
- Son statut commercial, c’est-à-dire si cette réduction ou séquestration est encore disponible à la vente ou, si elle a été vendue, qui l’a achetée. Cela permet notamment d’empêcher qu’une même réduction soit réclamée plusieurs fois, par exemple, par des entreprises différentes.
Un marché concurrentiel
Ce suivi des ventes est important, puisque les marchés de réductions de GES et de séquestrations de carbone sont en plein essor. Ces produits intéressent deux grands types d’organisations et d’entreprises :
- Celles qui veulent acheter les réductions des autres (des « crédits compensatoires ») afin de neutraliser les émissions qu’elles-mêmes n’arrivent pas à éliminer;
- Celles qui fonctionnent selon les principes d’un marché intégré, c’est-à-dire qui intègrent leurs réductions de GES dans leur propre chaîne de valeur. Le programme Fermes laitières engagées, par exemple, est basé sur un tel modèle intégré. Concrètement, les réductions de GES créées par les fermes sont valorisées par les transformateurs agroalimentaires présents dans leur chaîne de valeur afin, à terme, de commercialiser des produits à faibles émissions de carbone.
Enfin, il est bon de savoir que les registres de réduction de GES ne consignent pas le prix de vente d’une tonne d’équivalent CO2. À l’heure actuelle, ce prix dépend des ententes qu’acheteurs et vendeurs concluent lors de ventes aux enchères ou dans le cadre d’un contrat privé. Au final, ce prix découle notamment de la quantité de réductions offertes sur le marché – ou de l’offre et de la demande – ainsi que de la qualité du registre où elles sont consignées.
Il existe de nombreux registres de réduction de GES et ils ne sont pas tous de qualité équivalente. En effet, le marché de la lutte contre les changements climatiques reste jeune et continue à se structurer. Ainsi, contrairement aux registres bancaires, ceux qui consignent des réductions et des séquestrations ne sont donc pas encore encadrés par des règles parfaitement établies ou universelles.
À l’heure actuelle, même si ces registres collaborent entre eux et partagent certaines caractéristiques, ils opèrent donc selon leurs propres règles. Concrètement, chacun d’entre eux détermine selon quels protocoles il valide une réduction de GES ou une séquestration, et comment il établit si elle peut ou non être vendue.
Un équilibre en construction
À première vue, cela peut paraître inquiétant : comment savoir si un registre est fiable et si on peut y trouver des réductions et des séquestrations de bonne qualité?
La réponse tient notamment à l’équilibre que chaque registre trouve entre la rigueur de ses processus et son attractivité. « Un registre qui utilise des critères de validation tellement rigoureux qu’ils deviennent impossibles à respecter ne sert à rien, parce qu’aucune organisation ne pourra y recourir pour valider ses réductions, explique Hendrick Hassert, directeur de la stratégie climatique chez Logiag. À l’inverse, un registre dont les critères sont trop permissifs est tout aussi inutile, car il rebute les organismes sérieux qui souhaitent vendre à leur juste valeur leurs réductions ou séquestrations. »
Des registres rigoureux
Quelques registres se distinguent par leur rigueur, leur bonne réputation ou leur longévité.
Le plus vieux registre est l’American Carbon Registry (ACR). Créé en 1996, il a validé près de 900 projets de réduction, représentant plus de 300 millions de crédits compensatoire. Le California Climate Action Registry a aussi plus de 20 ans : il a été fondé en 2001 par le gouvernement de la Californie plutôt que par un organisme privé. Au fil des ans, il a validé 62 projets représentant 198 millions de crédits compensatoires.
Un registre particulièrement respecté est celui de Gold Standard, Impact. Fondé en 2003 par le World Wildlife Fund, avec autres, ce registre est spécialement rigoureux car il tient compte des cobénéfices environnementaux et sociaux des projets de réduction de GES. Au fil des années, il a validé près de 3500 projets et créé 29 millions de crédits compensatoires.
Le registre le plus productif est Verra. En fonction depuis 2007, il a validé près de 2500 projets qui totalisent environ 1,3 milliard de crédits compensatoires.
Enfin, l’un des plus récents registres est VIVID. Créé en 2018 par SustainCERT, il consigne notamment les réductions créées dans le cadre de Fermes laitières engagées. Ce registre se distingue en se spécialisant dans les réductions de portée 3, c’est-à-dire qui proviennent des fournisseurs ou des distributeurs présents dans la chaîne de valeur d’une entreprise. Dans le cas d’un transformateur agroalimentaire, par exemple, ces réductions incluent celles issues des regroupements de fermes de qui il achète ses aliments frais.
Une fiabilité qui progresse
En conclusion, les registres de réductions de GES et de séquestration de carbone représentent un maillon essentiel de la lutte contre les changements climatiques. Même s’ils demeurent des joueurs indépendants décidant par eux-mêmes des règles qui les gouvernent, ils adoptent de plus en plus souvent des pratiques communes et augmentent leurs collaborations.
En somme, les marchés du carbone gagnent en maturité, s’organisent et standardisent de plus en plus leurs façons de faire afin que la société puisse reconnaître à leur pleine valeur les efforts des entreprises qui luttent contre les changements climatiques.