Les gaz à effet de serre en agriculture
L’agriculture est la troisième source de gaz à effet de serre au Québec. Quels GES émet-elle, quelles activités les produisent et comment peut-on les réduire?
Les discours sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) en agriculture restent souvent assez vagues. Combien de GES produisent vraiment les fermes? Est-ce que le méthane possède réellement tous les défauts qu’on lui prête? Et qu’en est-il du dioxyde de carbone (CO2)? Les fermes devraient-elles s’en préoccuper ou non?
Notre article démêle ces questions en présentant les GES agricoles les plus courants, leurs sources, leurs caractéristiques et les meilleures stratégies pour les réduire.
Qu’est-ce qu’un GES?
Commençons par préciser que les GES sont des gaz naturellement présents dans l’atmosphère et essentiels à la vie. Sans eux, il ferait trop froid sur Terre pour qu’on puisse y vivre. Leur forme moléculaire permet de laisser passer les rayons du Soleil tout en empêchant la chaleur qu’irradie la Terre de retourner vers l’espace. Bref, c’est notamment grâce aux GES si notre planète peut soutenir à la vie!
Par ailleurs, les GES proviennent de plusieurs sources naturelles, incluant les volcans, les feux de forêt, les végétaux en décomposition et… la vapeur d’eau. Le problème n’est donc pas leur existence, mais leur abondance croissante. C’est bien leur augmentation incontrôlée qui cause l’actuel réchauffement climatique et qui dérègle les fragiles équilibres environnementaux.
Le début du phénomène remonte aux années 1760. Alors que les Européens se lancent dans la première révolution industrielle, les colons d’Amérique commencent à défricher des forêts afin de créer des champs. Ce défrichage relâche dans l’atmosphère le carbone emprisonné dans le sol et contribue fortement aux émissions de GES de l’époque. Plus tard, vers 1950, les fermes découvrent la Révolution verte, ses engrais chimiques et ses équipements à moteur, ce qui augmente encore leurs émissions.
Aujourd’hui, il est urgent de renverser la tendance. Heureusement, il est possible d’y arriver!
Différents GES produisent différents effets
Au Québec, 96 % des émissions sont composées de trois GES : le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O).
Les trois aggravent la crise climatique, mais chacun possède une forme moléculaire particulière et, donc, engendre des effets spécifiques. Concrètement, chacun possède un pouvoir réchauffant différent, c’est-à-dire une capacité plus ou moins forte de piéger de la chaleur sur une période donnée. La forme moléculaire de chaque GES détermine aussi sa durée de vie : une fois émis, certains restent dans l’atmosphère à peine une dizaine d’années et d’autres, plusieurs siècles!
Malgré ces différences, on peut convertir tous les GES en équivalent CO2 (le GES le plus courant). Cela permet de les placer sur un pied d’égalité et de mesurer leurs effets de manière globale.
Les GES agricoles à la hausse
Aujourd’hui, l’agriculture émet 10 % des émissions du Québec, selon l’Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2022 et leur évolution depuis 1990, publié par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. Cela fait de l’agriculture la troisième plus grande source de GES de la province, après le transport (43 %) et l’industrie (31 %).
Avec le transport, l’agriculture est aussi le seul secteur où les émissions de GES ont augmenté au cours des 23 dernières années. En effet, les étables et les champs du Québec ont émis 12 % plus de GES en 2022 qu’en 1999, bien qu’on observe une légère baisse (-2 %) depuis 2018.
Cette hausse des émissions est surtout due à un accroissement du fumier d’origine porcine et des engrais azotés. À l’inverse, les GES provenant de la digestion des ruminants ont diminué depuis 1999, essentiellement grâce à la réduction des cheptels.
Bref, il faut continuer à agir contre les GES en agriculture. Mais lesquels cibler, et comment?
Méthane (CH4)
D’où vient-il?
Le méthane occupe une place particulière dans toute cette question. Alors qu’il compte pour seulement 13 % des émissions totales de la province, celles-ci proviennent pour 47 % de l’agriculture. Plus précisément, le méthane agricole résulte de la fermentation entérique des ruminants (les fameux rots et pets de vache) et de la gestion du fumier. La deuxième plus grande source de méthane au Québec sont les déchets compostables envoyés dans les sites d’enfouissement (40 %).
Les fermes sont donc appelées à jouer un rôle de premier plan dans la réduction de ce GES, d’autant plus qu’il représente… 60 % des émissions agricoles!
Pourquoi s’en préoccuper?
Le méthane occupe non seulement la première place parmi les GES des fermes, il possède aussi un pouvoir de réchauffement très élevé. Au moment où il est émis, il capte 80 fois plus de chaleur que le CO2. Cela dit, au bout de quelques décennies, ce pouvoir réchauffant disparaît. En somme : bien que le méthane constitue un GES très puissant, il ne persiste relativement peu de temps. Réduire ces émissions a donc le potentiel d’entraîner rapidement des effets positifs sur le climat.
Quelles sont les solutions possibles en agriculture?
Puisque le méthane issu des fermes est lié au nombre de ruminants qu’elles élèvent, diminuer leur cheptel reste la façon par excellence d’abaisser ce GES. La bonne nouvelle? C’est faisable sans nécessairement sacrifier leur volume d’affaires ni leurs revenus. La solution passe par une augmentation de la productivité de chaque animal grâce à une alimentation plus saine, un meilleur bien-être et une gestion plus serrée de la relève.
L’autre option : limiter les émissions dues au fumier. Pour ce faire, il est possible de couvrir la fosse ou de la vider plus souvent. Les fermes peuvent aussi séparer le fumier en fractions solide et liquide ou l’utiliser dans la production de biogaz.
Protoxyde d’azote (N2O)
D’où vient-il?
Au Québec, le protoxyde d’azote représente seulement 5 % des émissions provinciales, mais celles-ci proviennent pour 75 % du secteur agricole. Cela est essentiellement dû aux épandages d’engrais azotés.
Ces épandages sont intimement liés à l’agriculture moderne. De manière naturelle, les plantes grandissent en tirant du sol l’azote nécessaire à leur croissance (sauf les légumineuses qui le tirent de l’air). Lorsqu’elles meurent, ces plantes redonnent leurs nutriments au sol, dont l’azote.
La réalité agricole d’aujourd’hui est bien différente. D’abord, la forte diminution de la matière organique dans les sols réduit les sources possibles d’azote. De plus, les cultures qui exigent beaucoup d’azote ne comblent pas leurs besoins avec l’ajout, dans la rotation, de légumineuses comme le soja. C’est pourquoi les fermes épandent des engrais azotés supplémentaires… et en laissent une partie s’échapper dans l’atmosphère sous forme de protoxyde d’azote.
Pourquoi s’en préoccuper?
D’abord, le protoxyde d’azote représente un peu plus du tiers des GES émis par le secteur agricole. Ensuite, son pouvoir réchauffant équivaut à 275 fois celui du CO2 tandis qu’il subsiste plus de 100 ans dans l’atmosphère. Bref, bien qu’il ne compte que pour 5 % des émissions du Québec, il cause beaucoup de dommages à notre climat.
Quelles sont les solutions possibles en agriculture?
Deux grandes options s’offrent aux fermes qui souhaitent réduire leurs émissions de N2O.
La première, assez connue, consiste à employer les engrais en suivant la technique des 4B. D’abord, choisir le bon engrais pour chacune des cultures, puis l’épandre à la bonne dose et au bon moment de son cycle de croissance et enfin au bon endroit, c’est-à-dire là où ses racines l’absorberont le plus facilement.
L’autre option pour réduire les émissions de protoxyde d’azote est de diversifier les cultures et d’augmenter la biomasse retournée au sol. Pour ce faire, les fermes peuvent notamment ajouter à leur rotation des cultures de couverture ou des engrais vert composés de légumineuses. En se décomposant, ces végétaux vont rendre les nutriments qu’ils renferment, dont l’azote, disponibles pour la culture suivante.
Dioxyde de carbone (CO2)
D’où vient-il?
Le dioxyde de carbone constitue le principal GES émis par le Québec : il constitue 80 % des émissions provinciales! Sur les fermes, c’est l’inverse : ce GES est à peine présent, comptant pour moins de 5 % des émissions totales.
Dans la province, les transports représentent la première source de dioxyde de carbone. Sur les fermes, ce sont plutôt des nutriments comme la chaux et l’urée. Leur application relâche du carbone. Historiquement, une autre grande source agricole de CO2 a été le changement d’affectation des sols (par exemple, raser un boisé pour créer un champ). C’est toutefois moins vrai aujourd’hui, du moins en Amérique du Nord. Enfin, les émissions dues à l’usage des tracteurs et des équipements motorisés sont négligeables.
Pourquoi s’en préoccuper?
Les fermes doivent se préoccuper du dioxyde de carbone même si elles en produisent très peu.
En effet, il s’agit non seulement du GES le plus abondant du Québec, mais il persiste aussi plusieurs siècles dans l’atmosphère. En conséquence, même si la Terre arrêtait d’en émettre demain matin, il nous faudra encore quelques centaines d’années pour nous en débarrasser. Donc, plus vite on arrête d’en produire, plus vite on pourra s’en dépêtrer. Enfin, il y a tellement de dioxyde de carbone dans l’atmosphère que chaque effort pour le diminuer compte.
Quelles sont les solutions possibles en agriculture?
Produire moins de dioxyde de carbone en agriculture peut passer par une réduction des épandages de chaux et d’urée. Mais il est encore plus judicieux de miser sur une technique qui reste somme toute peu utilisée : planter plus de végétaux, été comme hiver, afin de séquestrer plus de carbone.
En effet, le carbone dont se nourrissent les plantes est celui qui compose le dioxyde de carbone. Grâce à la photosynthèse, elles captent ce GES pour le décomposer : elles rejettent son oxygène dans l’atmosphère et transforment son carbone en tiges, en feuilles et en racines.
Par la suite, ce carbone d’origine végétale est transféré au sol grâce au fumier et aux résidus de culture. Une fois logé sous nos pieds, le carbone remplit plusieurs fonctions bénéfiques : il contribue à la matière organique (un élément important de la santé et de la stabilité des sols) ainsi qu’à la rétention d’eau et à l’activité biologique.
En somme, il y a plusieurs façons dont le secteur agricole peut réduire ses émissions de GES. La bonne nouvelle : cela passe souvent par un meilleur usage des ressources, sans mettre en péril les revenus de la ferme.
Ce qui est certain, c’est que le milieu agricole a un rôle majeur à jouer dans la lutte contre les changements climatiques et qu’il peut participer à grandement diminuer les GES. De nombreuses exploitations ont d’ailleurs déjà entamé une transition en ce sens. Elles savent que, même si les GES sont essentiels à la vie sur Terre, ils menacent aujourd’hui notre climat et tout ce qui en dépend, comme… l’agriculture.